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Le Plan Régulateur du Port de Gènes
La méthode des études qui a procédé à la formation du Plan Régulateur du Port de
Gènes a représenté, en ce sens, une des meilleures expériences de ces dernières années, pour avoir fondé toute l'activité projectuelle sur un réseau dense de collaboration constante des architectes urbanistes avec des photographes et des écrivains. Le produit d'une telle synergie est matérialisé en un lieu physique, à savoir l'Agence du Plan qui est devenu en peu de temps l'expression même du processus d'échanges.
Nous avons demandé explicitement à Gabriele Basilico, Daniel Del Giuduce, Maurizio Maggiani et Jean-Louis Schoellkopf[i] de décrire, chacun selon son art, la zone portuaire de façon à constituer une base de connaissances sur laquelle fonder les choix du plan. Nous nous sommes immédiatement rendu compte que le territoire du port avait subi des modifications qui avaient effacé non seulement des lieux physiques mais un vocabulaire, des habitudes, des modes d'utilisation de l'espace libre qui seraient restés totalement invisibles à n'importe quel type d'analyse cartographique. Les thèmes tels que la temporalité des usages de chaque grand container, le caractère cyclique des opérations d'embarquement et de débarquement des bateaux de croisière, le caractère saisonnier des flux du trafic des véhicules en direction des îles, ainsi que l'utilisation des containers comme de grands blocs de construction pour délimiter les espaces vides dépourvus de toute signalétique, sont le produit d'un regard sur le paysage portuaire que nous avons appris à connaître en travaillant ensemble.
Le travail de la photographie ainsi que la description narrative se sont en fait révélés être des instruments capables de donner une forme à un système de relation pluridimensionnelle qui ne s'épuise pas avec les seules données métriques. Pouvoir représenter le caractère de certains comportements est devenu stratégique dans les discussions à la table des négociations ainsi que dans la formation des programmes d'intervention. Je crois, en particulier, que cela a servi à comprendre la nature même de l'espace technique spécialisé du port qui travaille, en manifestant des thèmes d'articulation avec la ville et non une pure opposition de deux mondes qui se font face sur un territoire de frontière [ii].
Sur de telles prémices s'est développée l'activité des architectes consultants, Manuel de-Sola Morales, OMA., Bernardo Secchi et Marcel Smets par l'intermédiaire de trois masterplans sur les aires de l'établissement sidérurgique de Cornigliano, sur l'arc portuaire historique et sur la zone des Réparations Navales. Le produit de telles investigations, au-delà des caractères distincts des trois propositions, présente, à mon avis, une certaine homogénéité du fait même du mode de constitution. Il est possible d'observer une attention croissante aux questions programmatiques et une utilisation de la forme architecturale comme élément variable, susceptible de ré élaboration permanente en relation avec le processus de concertation avec les acteurs associés à la décision. Je retiens que cette relation de subordination de la forme architecturale à la construction du projet urbain est l'élément le plus novateur et que progressivement s'opère un déplacement d'intérêt vers la question de la forme du programme. Le refus de cristalliser un programme d'intervention dans une architecture non susceptible de modification est une attitude incroyablement plus souple qu'un processus qui lie des acteurs de moins en moins disponibles pour la confrontation si ce n'est sur un pur plan "esthétique". Le jugement "beau"ou "laid " n'appartient plus aux administrateurs ni aux usagers car ils mesurent de plus en plus souvent le degré de satisfaction à partir d'autres paramètres (relation la plus étroite possible entre l'économique et le fonctionnel et la simplification des processus administratifs connexes).
D'un autre côté, le produit de l'activité de l'étude exprime toujours avec force une "figure"qui reste l'élément inévitable pour vérifier le résultat final d'une transformation. Plan et projet demeurent liés par une interdépendance qui va bien au-delà des limites décrétées par différents corps disciplinaires et qui constitue de plus en plus la condition nécessaire pour affronter les opérations complexes. La nature d'une telle complexité provient de la multiplicité des sujets engagés dans les programmes d'intervention qui exigent de plus  en plus souvent la double participation des ressources publiques et des ressources privées.
Si, en ce sens, l'expérience du port se mesure avec la gestion d'une propriété domaniaIe publique, il est vrai que les options de l'Autorité Portuaire conduisent à une privatisation poussée de l'utilisation des terrains -ce qui a requis la définition d'un système de règles dans le rapport public-privé qui traditionnellement avait des contenus exclusivement administratifs et financiers. Le passage à une forme de contrôle de la qualité de l'espace portuaire a signifié l'introduction d'une culture neuve dans les modes d'organisation de l'espace productif et une disponibilité à reconnaître, alors, aux machines, grues, containers, bâtiments en tôles une valeur "esthétique" qui d'objets techniques en a fait des facteurs de paysages [iii]
 
Claudio Finaldi Russo, mégalopole, cahier 19, printemps 1999[iv]

[i] Gabriele Basilico est photographe à Milan, Daniele del Giudice est écrivain et vit entre Rome et Venise, Maurizio Maggiani est écrivain à Gènes, Jean-Louis Schoellkopf est artiste et photographe à Saint-Etienne.
[ii] Cf. S. Boeri, Il piano per il Porto di Genova: concetti disegnati per un territorio mobile, in Domus n°800, janvier1998.
[iii] La contribution des arts figuratifs a été décisive dans l'attribution d'une valeur symbolique aux images d'usines et aux paysages industriels inscrits dans le corps même de la ville.
[iv] Diplômé en architecture à l'Université de Naples "Federico 99" en 1995; thèse sur le réaménagement de la banlieue est de Naples en parc agricole. Lauréat d'une Bourse d'études en1996 pour participer à la formation du Plan Général du Port de Gènes. Travaille dans les différents domaines du projet urbain et de l'urbanisme en collaboration avec les architectes Alberto Ferlenga et Stefano Boeri, Professeurs à l'Université de Naples et de Gènes. Actuellement il développe une activité de recherche à l'Université de Naples sur les rapports entre les systèmes portuaires et les urbanisations côtières.